Éric Skelton
Lorsque Johnny Hawk a érigé un teepee le 5 juillet dernier c’était beaucoup plus qu’un abri. Cet autochtone a installé sa structure faite de branches et de canevas sur le sable de Balm Beach afin de réclamer un droit. Au même moment un compatriote occupait un camp semblable à la baie du Tonnerre.
Ces individus occupent des tentes traditionnelles de quatre mètres de haut pour déclarer les Droits des premières nations à l’utilisation des plages. Un élément novateur s’ajoute : ils se rallient aussi aux non autochtones qui veulent eux-aussi profiter des plages de Tiny.
Johnny décrit la Baie Georgienne comme territoire «non cédé.» «Certains propriétaires craignent que je veuille leur arracher leurs terres, mais il ne s’agit pas de ça. Je cherche la vérité, la réconciliation et le partage.»
Que les plages du canton fassent l’objet de controverses n’a rien de nouveau. Mais cette nouvelle alliance a réussi à rassembler de nombreux partisans par le biais des médias sociaux ainsi que des manifestations de nature pacifique. «Nous devons reprendre nos plages pour les résidents de cette région,» selon un des commentaires typiques de la page Facebook nommée Beach Rights. La participante ajoute «Affirmons nos droits.»
Les gens organisent des manifestations qui consistent simplement depuis le mois de juillet à marcher le long des plages. Des centaines de participants espèrent ainsi garantir un droit qui (beaucoup d’entre eux craignent) disparaîtra s’il n’est pas exercé.
Pour sa part, Johnny Hawk apprécie depuis longtemps les liens d’amitié tissés avec les Francophones et les Métis et il souligne l’importance de la non-violence. «Nous voulons apporter une éducation et non pas de l’agitation» précise Johnny âgé de 39 ans.
«C’est une alliance pas évidente,» dit en riant Rob Johnston, un des fondateurs de ce groupe Facebook tchat qui date du mois d’avril et qui compte déjà presque 4 500 membres. «Mais c’est très fonctionnel. La perspective de Johnny est certes très différente de la nôtre, dans le sens que la sienne est bien plus profonde. Cependant au fond nous voulons la même chose : nous voulons partager les plages.»
M. Johnston, un homme au franc-parler, ne tente pas de dissimuler qu’il a du mal à comprendre ceux parmi les propriétaires du long de la plage qui affirment avoir un droit exclusif jusqu’au bord de l’eau (sans preuve). «Pour moi, c’est un problème d’égoïsme et de pouvoir. Oui, des gens sont attirés par nos plages et non sans raisons : elles sont pures et belles. Elles ont tout ce que Toronto n’a pas.»
Depuis des générations, la question du droit aux plages et l’accès à l’eau confond et divise le canton au point où même les politiciens et les policiers hésitent à exprimer une opinion sur le bien fondé des arguments.
Il n’existe pas, et paraît n’avoir jamais existé, un consensus sur le statut définitif de l’ensemble des plages. Et ce en dépit des nombreuses recherches, des études, des jugements de cours civiles et même criminelles qui se sont prononcées sur telle ou telle partie de ce casse-tête de revendications et contre-revendications. Certaines plages, surtout celles au bout des concessions, sont désignées comme étant publiques. Mais le canton possède aussi plusieurs lots de plage qu’il a dû payer au prix coûtant, en incluant des sections des plages Ardmore et Cawaja et au nord de la plage du parc de Lafontaine. Aucun passant ne saurait qu’il a le droit incontestable de s’installer sans ennui sur une de ces plages publiques.
C’est sur ce point que Basile Dorion, ancien conseiller du canton, demeure insatisfait des démarches du conseil municipal. «Lorsqu’on est politicien, il faut aussi avoir une colonne vertébrale et savoir mettre son pied à terre.» Même s’il appuie très fortement le groupe Beach Rights dont il est membre, M. Dorion reconnaît que certaines (assez rares) sections de plage sont apparemment privées dans le vrai sens du mot. «Les gens n’arrivent pas à comprendre qu’il y a certains parcs qui sont privés, mais malgré ça (des visiteurs) passent ou s’y installent parce qu’ils ne font pas la distinction. Mais sur la plupart des plages, on devrait avoir le droit.»
M. Dorion offre en exemple les subdivisions Georgian Highlands entre la 18e et 19e; Sandcastle Estates entre la 17e et 18e ; Georgian Sands entre la 15e et la 16e ; et puis Coutinac Beach dans la partie est du canton près de la ville de Penetanguishene. C’est ici que s’applique ce statut de «deeded access» ou droit attribué, puisque les développeurs voulaient s’assurer que tous les propriétaires dans leur subdivision auraient accès aux plages.
«Ça ne veut pas dire que le lot va jusqu’à l’eau, ou qu’un non-propriétaire ne pourrait pas marcher sur cette plage,» précise davantage M. Dorion. Cette désignation de «droits attribués» amène d’autres ennuis, car ça donne raison à certains propriétaires le long de la plage de questionner des gens qui arrivent sur la plage afin de savoir où ils résident. C’est un interrogatoire qui irrite bien des passants qui habitent dans la région depuis longtemps. Un père de famille, ayant été interpellé alors qu’il prenait des photos à la plage avec ses filles aurait répliqué, selon son anecdote racontée sur Facebook, «Vous me demandez d’où je viens. D’ici !»
Même l’organisme qui réunit depuis longtemps plusieurs groupes de propriétaires à la plage reconnaît qu’il n’existe pas qu’une seule réponse à la question de qui a le droit de faire quoi et où. Le site Web de la «Federation of Tiny Township Shoreline Associations» affirme que «le statut d’accès aux plages de Tiny varie beaucoup entre les différents endroits. Certaines propriétés sont privées, certaines sont publiques, il existe des ententes informelles parfois entre les résidents sur la plage et ceux à proximité. L’application des lois du canton varie aussi.»
M. Dorion essaye de voir cette autre perspective, celle des résidents de la plage. Mais en tant que résident de la 17e qui fréquente la baie du Tonnerre, il a lui-même été menacé d’intervention policière lorsqu’il profitait de la plage. «Je peux comprendre que bien des propriétaires le long de la plage n’aiment pas voir un défilé de gens qui passent devant leur chalet. Mais ça ne veut pas dire qu’ils ont le droit de les empêcher. «J’ai le droit de marcher le long d’une plage jusqu’à ce que quelqu’un me prouve que je n’ai pas le droit d’être là.»
À suivre dans l’édition du 5 août.
Éric Skelton est membre du groupe «Beach Rights» il est résident du Canton de Tiny. Il a été journaliste et ensuite enseignant au palier secondaire. Il est à la retraite depuis 2019.