La maison de Théophile Brunelle ne figure désormais plus sur le Registre municipal des biens patrimoniaux du canton de Tiny. Bâtie en 1870 par l’immigrant originaire de Batiscan et intrépide tueur du légendaire et menaçant loup de Lafontaine, la maison au 4 Potato Court sera irrévocablement démolie ce printemps. D’ici là, le canton de Tiny a donné des directives au Comité patrimonial et à l’Alliance culturelle de sonder le public afin d’identifier le meilleur moyen de commémorer cette demeure.
Nadine Lalonde
– IJL Réseau.Presse
– Le Goût de vivre
Demande de démolition
Il faut se rappeler qu’en août 2021, l’entreprise Glenn Whiteside Farms Ltd., propriétaire actuel du terrain, a déposé une demande de démolition auprès du canton de Tiny. Suivant le processus en place, le Comité patrimonial a publié l’annonce d’intention de démolir et a prévu une période pour recevoir de la rétroaction des résidents. Malgré que toutes les interventions aient plaidé en faveur de préserver le bâtiment, le Comité patrimonial a approuvé que la maison soit rayée du registre en citant son état délabré et les soucis de sécurité soulevés par le propriétaire.
D’après les propos de Gib Wishart, conseiller municipal et membre du Comité patrimonial « Nous avons manqué le bateau. Ceci a été négligé. Et du point de vue des souvenirs, nous devons connaître notre communauté, découvrir ce qui s’y trouve, et agir avant de nous retrouver dans une situation si embêtante. Quel dommage, et il est impossible de revenir en arrière.»
M. Wishart a tenu ces propos lors de la réunion du 24 novembre dernier où le Conseil municipal de Tiny aurait pu décider de passer à la désignation de la maison en vertu de la Loi sur le patrimoine de l’Ontario. La désignation accorde le niveau de protection le plus élevé que la loi puisse conférer à plus long terme.
Appui de taille
Le Réseau du patrimoine franco-ontarien (RPFO) avait d’ailleurs exprimé son appui des démarches de conservation des résidents dans une lettre demandant au conseil municipal de procéder à la désignation. Selon la lettre « l’intérêt suscité depuis l’annonce de la demande de démolition démontre le potentiel que la maison continue d’engendrer. La municipalité aurait donc tout intérêt à mettre en valeur la maison de Théophile Brunelle dans un souci de respect pour l’histoire et le patrimoine de la communauté francophone de Lafontaine. »
Décision du Conseil municipal
Au lieu de choisir la voie de la désignation, le conseil a accepté la recommandation de radier la maison du registre, ouvrant effectivement la voie aux bulldozers pour la démolition, dorénavant incontournable.
La nouvelle de la démolition d’un édifice aussi marquant de l’histoire locale a soulevé l’intérêt dans les médias sociaux et traditionnels, et fait l’objet de plusieurs articles dans les journaux anglophones comme francophones, voire même un reportage télévisé. Ce bruit a peut-être donné lieu au compromis du canton qui consiste à demander un sursis au propriétaire pour permettre une consultation de la population en bonne et due forme sur les commémorations adéquates qu’elle souhaiterait voir.
Le 15 décembre dernier, le conseil municipal a confirmé l’allocation du solde du budget 2021 du Comité patrimonial aux démarches de commémoration. Il s’agit d’une somme de 6 500 $, selon Shawn Persaud, directeur de la planification et du développement du canton de Tiny. Or, Lisette Mallet, présidente de la Société d’histoire de Toronto affirme que « Le prix d’une plaque en bronze est de 5 500 $ simplement unilingue. D’abord, il faut tripler le coût pour une plaque bilingue; on paie à la lettre. Il faut repenser la question de plaque. Les moins honnêtes vendent les plaques à la fonderie pour faire de l’argent. »
Idées de commémoration
À part l’érection d’une plaque, parmi les idées soulevées l’on retrouve, entre autres, laisser une partie de la fondation ou de la cheminée, monter un panneau interprétatif, publier un dépliant pour une tournée des lieux marquants de la Légende du Loup, construire une maquette à échelle, retirer des artefacts et des éléments architecturaux pour les conserver (plafond de tôle, frises et balustrades décoratives), et recueillir les données 3D pour construire une maquette.
L’option de numérisation en trois dimensions est particulièrement intéressante. Lors d’une réunion récente du RPFO, Denis R. Ouimette, professeur en techniques et technologies de l’architecture au Collège Boréal, se dit prêt à apporter les équipements (FARO 3D) capables de calculer en une seconde et à 1 mm près les objets mesurables et de créer une image pouvant servir à la rénovation ou à la reconstitution d’une maison par un cabinet d’architectes.
« À mon avis, la maison de Théophile Brunelle est phénoménale pas seulement parce que c’est de l’architecture franco-ontarienne, bâtie par un Franco-Ontarien, utilisée par des Franco-Ontariens et pour des Franco-Ontariens, mais parce que la communauté dit qu’elle est importante du point de vue historique et culturel, » a dit M. Ouimette. « Nous sommes à l’aube du projet catalyseur de recherche L’art de bâtir chez les Franco-Ontariens. Si la maison de Théophile Brunelle peut tenir le coup jusqu’à la fonte des neiges, j’aimerais la documenter. Nous en parlerons dans nos classes d’architecture au collège. C’est votre maison. Je veux être là avec mon équipe pour vous appuyer. C’est vous qui décidez ce que vous voulez. »
Dans l’esprit de redonner à la communauté, et dans un sens beaucoup plus large que la maison locale, le professeur Ouimette entrevoit la collecte de données et la création d’un vaste inventaire pour les historiens futurs sur tout le bâti franco-ontarien, pas seulement les endroits menacés.
Pour conclure, la seule avenue qui reste à la communauté pour reprendre la situation en main est de présenter au canton de Tiny ses meilleures idées, si innovatrices et imaginatives soient-elles, pour préserver les souvenirs et commémorer comme il se doit l’histoire du lieu et des personnages qui forment la genèse de la communauté francophone régionale, avec une incidence certaine s’étalant au-delà des frontières de Tiny. On dit souvent que la fin se retrouve dans les débuts. Le défi est donc lancé de faire des commémorations une affaire légendaire.
À vos plumes pour écrire l’épilogue de la Légende du loup de Lafontaine. Vous avez jusqu’au 10 février 2022 pour faire parvenir par écrit vos idées de commémoration de la maison de Théophile Brunelle, à l’attention de Pamela Zimmerman, pzimmerman@tiny.ca; courriel, envoi postal et dépôt de lettre en personne acceptés.
Dans la photo de René Laurin on aperçoit l’état actuel de la maison.