Au Canada, le mois de mars est le mois de sensibilisation à la musicothérapie. Pour plusieurs musicothérapeutes certifiés, dont Kelly Lefaive du Centre de soins de santé mentale Waypoint à Penetanguishene et Aaron Lightstone de Music Therapy Toronto, cette sensibilisation est nécessaire pour partager les bienfaits et les avancements de cette discipline dans le domaine de la santé mentale et physique.
_______________________
Annique Maheu
IJL – Réseau.Presse
– Le Goût de vivre
Qu’est-ce que la musicothérapie
L’Association de musicothérapie du Canada définit la musicothérapie comme étant « une discipline dans laquelle des musicothérapeutes certifiés (MTA) utilisent la musique à l’intérieur du lien thérapeutique afin de soutenir le développement, la santé et le bien-être». L’organisme a l’objectif de promouvoir l’utilisation et le développement de la musicothérapie pour le traitement, l’éducation, la formation et la réadaptation d’enfants et d’adultes atteints de handicaps émotionnels, physiques ou mentaux.
La musicothérapie au Centre Waypoint
Pour Kelly Lefaive, musicienne professionnelle de la région de la Huronie, la musique a toujours représenté la connexion avec l’autre.
«En tant que musicienne à Toronto, j’ai eu la chance de rencontrer plein de gens qui ne parlaient pas la même langue que moi grâce à la musique. La musique nous a permis d’avoir une connexion non verbale et nous permettait de créer de la musique ensemble. C’était quelque chose de très puissant» affirme Mme Lefaive.
Après avoir vécu l’expérience des tournées avec son groupe musical Georgian Bay et le groupe Ariko, Mme Lefaive se tourne vers la musicothérapie pour la suite de sa carrière.
En 2021, elle obtient sa maîtrise et sa certification de musicothérapeute. Peu de temps après elle devient employée au Centre de soins de santé mentale à Penetanguishene, Waypoint.
« Mon rôle de musicothérapeute est de me servir de la musique comme outil pour améliorer la santé des gens. Tout d’abord on fixe un but qui a rapport avec la santé de la personne et on se sert de stratégies musicales pour atteindre le but » explique Mme Lefaive.
Pour les clients du Centre de santé mentale Waypoint, les gens s’auto-réfèrent pour recevoir ses services. Un jour par semaine, Mme Lefaive rencontre des clients vivant dans la région au carrefour « Community Health Hub » situé à Midland, et quatre jours par semaine elle travaille dans le Centre Waypoint à Penetanguishene auprès des résidents du département régional ainsi que les résidents du département médico-légal à haute sécurité.
Les stratégies musicales utilisées varient énormément selon l’intérêt et le besoin de la personne.
« Pour certains clients, la stratégie c’est d’écrire des chansons par rapport à leur vie ou à une expérience vécue. Parfois je travaille avec un groupe pour lequel j’apporte un bac d’instruments. Ensemble on crée de la musique spontanée ou avec un thème pour nous inspirer. Dans ces cas-là l’objectif c’est de s’exprimer. Pour certains ayant des barrières en expression orale, ça peut être plus facile de s’exprimer par la musique » partage Mme Lefaive.
La musicothérapie dans un milieu médico-légal présente aussi d’autres stratégies musicales plutôt passives.
« Dans le milieu médico-légal de Waypoint, les gens n’ont pas accès à des téléphones et à la musique comme les gens vivant dans la communauté. Ils n’ont pas accès à la musique par YouTube, Spotify, etc. À moins que le client ait accès à un ancien iPod qui n’a pas la capacité de se connecter à Internet, il n’a pas accès à la musique. Alors pour plusieurs, écouter leur musique préférée peut avoir un énorme impact. La musique nous permet d’avoir des conversations en thérapie qui misent sur l’impact de la musique sur leur humeur et sur leurs souvenirs. On peut parler de ces expériences et des émotions liées à cette musique » explique Mme Lefaive.
Mme Lefaive affirme ressentir que le lien thérapeutique semble se faire plus facilement puisque les premières discussions avec les clients traitent de leurs intérêts dans la musique, les groupes ou les styles de musique préférés et leur relation avec la musique.
« Souvent les gens utilisent déjà la musique pour leur santé » affirme Mme Lefaive.
Le Centre de santé mentale Waypoint comptait auparavant deux musicothérapeutes. En raison de la forte demande pour ses services, Mme Lefaive souhaite voir le programme prendre de l’expansion.
Des avancements en neuroscience
Le domaine de la musicothérapie compte plusieurs spécialisations au-delà de la psychothérapie telle qu’offerte par Mme Lefaive.
À Toronto, le musicothérapeute fondateur de « Music Therapy Toronto », Aaron Lightstone se spécialise en réhabilitation neurologique. Il oeuvre auprès de clients ayant vécu des lésions cérébrales traumatiques suite à des accidents de voiture ou accidents en milieu de travail.
Tout comme Kelly Lefaive, M. Lightstone a poursuivi une carrière en tant que musicien professionnel avant d’établir sa carrière en musicothérapie.
Ayant oeuvré dans le domaine de la musicothérapie depuis maintenant plus de 20 ans, M. Lightstone a travaillé auprès de plusieurs groupes de la population. Parmi ceux-ci, on retrouve des gens affectés par la démence, des gens dans des centres de soins palliatifs, des adultes et des enfants sur le spectre de l’autisme, des clients dans des centres résidentiels de traitement d’addictions, ainsi que des gens dans des centres résidentiels de santé mentale.
En 2010, il fut le premier musicothérapeute à se servir de la télé-médecine pour offrir ses services auprès d’un client habitant à 1400 km de Toronto. Se servant de la technologie de la vidéoconférence de l’époque, M. Lightstone a pu offrir ses services au vétéran des Forces armées canadiennes souffrant de trouble de stress post-traumatique qui habitait au nord de l’Ontario, bien loin de services en musicothérapie.
En 2015, M. Lightstone est devenu le directeur musical du groupe communautaire « Bliss iBand » de Toronto. Ce groupe musical formé d’adultes ayant des handicaps physiques se réunissent chaque semaine pour explorer les possibilités de faire activement de la musique avec les applications d’instruments virtuels. Le groupe démontre les avantages dont bénéficient ses membres, dont plusieurs ne parlent pas et se servent d’appareils de communication augmentée et alternative en se réunissant pour faire de la musique.
« La musicothérapie est très adaptable selon les besoins des différents groupes de la population. Par la force des choses et par mon intérêt, mes services se sont spécialisés en réhabilitation neurologique au cours des neuf dernières années » affirme M. Lightstone.
Un des plus grands défis selon M. Lightstone est le manque de sensibilisation de la discipline auprès du public en général et l’industrie des assureurs.
« Au fil des ans, j’ai dû créer et entretenir un réseau de professionnels dont des chargés de dossiers, d’ergothérapeutes et d’avocats spécialisés en dommages corporels afin d’offrir mes services. Ceux-ci ont une bonne compréhension des bienfaits de la musicothérapie auprès de leurs clients et la majorité de mes clients me sont référés par ce réseau » affirme M. Lightstone.
Le travail de M. Lightstone reflète le domaine de recherche scientifique associant la musicothérapie à la neuroscience. En 2012, la « University of Toronto » a inauguré la « Music and Health Science Research Collaboratory » (MaHSRC), un laboratoire de recherche sur la musique et les sciences de la santé affilié au département de musique de l’université.
La MaHSRC est un centre de recherche interdisciplinaire, interlaboratoire, interdépartemental et interinstitutionnel avec un focus sur quatre domaines de recherche : la musique, la neuroscience fondamentale, la neuroscience clinique et les applications à la santé. Dirigé par le Dr. Michael Thaut depuis 2017, la MaHSRC fait de grandes avancées dans la recherche démontrant que la musique a un impact neuro-biologique sur le cerveau. Ensemble les chercheurs associés à la MaHRSC oeuvrent à démontrer que le cerveau continue d’être malléable au fil de la vie entière des humains, et peut être influencé de façon positive et réparatrice.
M. Lightstone a l’espoir qu’un jour la musicothérapie fera partie des normes de soins au Canada, tout comme la physiothérapie, l’ergothérapie, la psychothérapie, et autres. Grâce au travail de la MaSHRC de la « University of Toronto », il existe maintenant des preuves scientifiques que la musique, et le fait d’être impliqué dans la musique a un impact physique et mesurable sur le cerveau humain et son système nerveux. La musique a le pouvoir de modifier des comportements, améliorer le fonctionnement, et réduire les symptômes associés à différentes maladies et conditions neurologiques.
« La musique et la musicothérapie en tant que discipline socio-culturelle se retrouve partout dans le monde depuis le début des temps sous différentes formes. Malgré sa grande puissance sur le bien-être, c’est très mythique et magique. Et cela, c’est difficile de le justifier aux assureurs ou à la WSIB. Alors que la musicothérapie neurologique est basée entièrement sur la neuroscience et la neuro-biologie. Un plan de traitement basé sur ces fondements sera plus réaliste et mesurable pour la compagnie d’assurance qui devra appuyer les normes de soins de santé » affirme M. Lightstone.
Dans la photo on aperçoit Kelly Lefaive, musicothérapeute certifiée et employée au Centre de soins de santé mentale Waypoint à Penetanguishene. Crédit: Jill Lefaive