Musées : ça prend un village… et de l’argent
FRANCOPRESSE – Secoués par la pandémie de COVID-19, les musées du Canada et d’ailleurs se trouvent à la croisée des chemins alors que l’on célébrait la Journée internationale des musées le 18 mai. Certains ont saisi l’occasion pour se rapprocher de leur communauté ou de se réinventer, tout en relevant d’importants défis de gestion.
Andréanne Joly – Francopresse
«Que signifierait une fermeture?» Certaines organisations se posent la question sans détour, rapporte Karin Kierstead, responsable des programmes à l’Association des musées de la Nouvelle-Écosse.
Cette réalité s’observe partout au pays, ajoute Robin Etherington, qui a dirigé divers musées de l’Ontario au cours des 30 dernières années. «Notre monde change, et ce n’est pas que la COVID, mais la COVID a exposé les failles.» Elle cite le cycle de vie normal, les désastres, des communautés éprouvées par des changements démographiques, la rotation de personnel.
Si quelques musées ont fermé leurs portes avec la pandémie, plusieurs se sont complètement réinventés. «Ces musées sont ceux qui ont survécu ou qui ont progressé», observe Robin Etherington.
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Un cycle de vie
«Il faut se renouveler… ou fermer», confirme Lauren Wheeler, directrice des services stratégiques à l’Association des musées de l’Alberta. «Les gens ne se rendent pas compte du travail que représente un musée.»
Selon elle, il y a une expression qui peut annoncer la mort d’un musée : «Nous n’avons jamais fait ça comme ça.»
«Si votre musée a été fondé dans les années 1960, même dans les années 1980 ou 1990, et que vos mission/vision sont les mêmes, ça en dit déjà plus long que le nombre de visites», prévient Lauren Wheeler. «Révisez-les!»
Sur la trame de mouvements sociaux comme les Black Lives Matter et Land Back, les musées ne peuvent faire autrement que de se réinventer, estime Sean Stoughton, coordonnateur du musée régional Ken Seiling à Waterloo, en Ontario, et qui travaille dans les musées d’histoire vivante du sud de l’Ontario depuis 2006. Il faut aujourd’hui des projets plus collaboratifs, plus inclusifs.
Attirer sa communauté
Denis Longchamps est directeur général du Musée canadien de l’argile et du verre, à Waterloo, en Ontario, depuis l’été 2018. À son entrée en poste, il s’est donné le mandat d’augmenter l’affluence du musée en visant, justement, la collaboration et l’inclusion.
Il est allé à la rencontre des municipalités et des organismes culturels de la région pour cerner les occasions de développement. Il s’est fait répondre que son musée devait s’engager davantage dans la communauté.
L’équipe a invité des groupes qui fréquentaient peu la galerie, comme la communauté 2ELGBTQI+ et un groupe de femmes musulmanes. «Les projets qu’on fait doivent être inclusifs et s’adresser à un public très large», constate-t-il.
Demeurer en contact avec la collectivité a été salvateur dans bien des situations, remarque de son côté Karin Kierstead. Elle expose le cas d’un musée de la Nouvelle-Écosse qui a choisi de présenter ouvertement à la communauté ses difficultés. «Des gens se sont présentés, ont discuté et la communauté a trouvé une solution. De nouveaux bénévoles se sont avancés», rapporte-t-elle.
«Rebâtir un conseil, s’est se réengager avec la communauté», confirme Lauren Wheeler.
«Il faut de la passion de la part du personnel et du conseil d’administration», complète Carolyn Hyslop, directrice générale du Musée canadien du canot (MCC), à Peterborough, en Ontario. Elle se considère particulièrement chanceuse, car le canot occupe une place de choix dans l’imaginaire et le cœur de la population canadienne.
«Les gens comprennent l’importance que revêt cette collection pour le pays.» Le Sénat a d’ailleurs reconnu l’importance de la collection du musée, la plus importante collection d’embarcations à pagaie au monde, en 2013.
Cette reconnaissance a facilité la tâche lorsque l’administration a décidé, en 2012-2013, de lancer études et consultations pour vérifier la faisabilité d’un déménagement de l’établissement. Celui-ci est désormais installé dans deux bâtiments industriels modernisés pour accueillir un musée, situé sur une artère commerciale de Peterborough.
C’est grâce à l’attachement à la collection que le MCC a réussi à construire un nouvel édifice sur le bord de l’eau. Pour faire honneur à son thème, mais aussi pour une question de durabilité et de préservation adéquate de la collection. Il en aura couté 45 millions de dollars.
Attirer des fonds
Peter Elmhirst, qui était membre du comité des finances du MCC à l’époque, se souvient que le conseil avait alors pris une décision difficile. Mais le Musée a réussi à relever le défi d’ouvrir ses portes avec une enveloppe équilibrée après 12 ans de travail, plus tôt ce mois-ci.
«Nous avons entièrement financé nos couts en capital, y compris l’achat du terrain et le développement des nouvelles expositions», un accomplissement énorme, aux yeux de Carolyn Hyslop.
«La bonne santé financière de l’organisation est prépondérante. Pour le fonctionnement d’un musée, ça passe ou ça casse», lâche-t-elle.
Denis Longchamps a consacré beaucoup d’énergie à obtenir plus de financement régional une fois établi à Waterloo.
En novembre, une ouverture s’est faite : la municipalité régionale a ajouté les galeries d’art à la liste des entreprises culturelles admissibles au fonds de financement. «Alors ça pour nous, c’est un important step forward. On ne sait pas ce qu’on va avoir, mais il y a une ouverture», qui aura selon lui des incidences sur le financement courant de l’établissement.
«Si je veux garder mon équipe, il faut que j’aie des salaires qui rencontrent la compétition. Parce que sans ça, tu perds tes employés rapidement», indique le directeur.
Dans l’immédiat, «personne ne travaille dans les musées pour l’argent, mais par passion», relève Sean Stroughton. «Dans les petits musées, on a la faculté de faire beaucoup avec très peu», observe-t-il.
Ce à quoi Robin Etherington ajoute : «Nous devons peut-être prendre du recul et revoir notre modèle d’affaires.»
À quelques jours de son ouverture, le Musée canadien du canot mettait la touche finale à son nouveau site, construit au cout de 45 millions de dollars. Photo : Andréanne Joly