FRANCOPRESSE – Taxes, quotas, déréférencement sur Internet, certaines destinations ont décidé de mettre en œuvre des mesures pour repousser les touristes. Mais décourager les visiteurs de venir reste difficile. Face aux excès du tourisme de masse, les chercheurs appellent les gens à voyager autrement, en adaptant leurs choix de destination et leur calendrier.
Marine Ernoult – Francopresse
La saison touristique bat son plein partout au pays, des hordes de visiteurs envahissent de nombreux sites naturels et des villes emblématiques. Pour éviter ce trop-plein de touristes, certaines destinations pionnières ont pris le taureau par les cornes.
La municipalité des Îles-de-la-Madeleine a ainsi décidé de faire payer une redevance touristique de 30 dollars. L’objectif est double : l’aider à préserver le territoire, mais aussi prendre en charge les couts associés au tourisme de masse, comme la gestion des déchets dont la quantité explose en été. En revanche, face aux critiques, les autorités madelinoises ont reculé et la redevance est maintenant optionnelle.
«Le caractère obligatoire a soulevé de nombreux débats sur comment justifier l’accès payant à un territoire public canadien, comment savoir qui est local de qui ne l’est pas», rapporte le professeur au Département d’études urbaines et touristiques à l’Université du Québec à Montréal, Luc Renaud.
Des taxes pour préserver le patrimoine
Aux yeux d’Elizabeth Halpenny, professeure spécialiste du tourisme à l’Université d’Alberta, «il faut trouver un bon équilibre».
«On doit éviter que les touristes ne viennent plus, car ils génèrent des retombées économiques essentielles, mais en même temps il me semble normal qu’ils paient aussi une certaine redevance pour participer à l’entretien du patrimoine touristique.»
De son côté, la Première nation Tla-o-qui-aht, située en Colombie-Britannique, a mis en place une taxe volontaire appelée Tribal Park Allies donation (Don des alliés du parc tribal, traduction libre). Les entreprises touristiques sont invitées à verser 1 % de leurs recettes pour contribuer à la gestion des terres.
«À ma connaissance, aucune autre destination au Canada n’a mis en place de tels systèmes, mais je suis certaine que beaucoup envisagent de le faire», observe de son côté la professeure de gestion du tourisme à l’Université métropolitaine de Toronto, Rachel Dodds.
Ces taxes permettent en effet de récolter des fonds pour remédier aux problèmes écologiques et sociaux engendrés par le surtourisme. Selon Elizabeth Halpenny, l’argent perçu peut être également réinvesti dans des campagnes de sensibilisation des vacanciers sur la manière correcte d’interagir avec les résidents, de respecter la culture et l’environnement.
Le surtourisme, ou quand voyage rime avec dommage
Les chercheurs parlent de surtourisme quand l’excès de tourisme nuit à la conservation d’une œuvre ou d’un espace; lorsque le nombre de touristes vient dégrader la qualité même de la visite et quand on assiste à des réactions de rejet des populations locales, comme récemment aux iles Canaries, dans les Cyclades ou à Barcelone.
«Le seuil de tolérance des habitants s’est abaissé depuis la fin de la pandémie, car pendant la COVID-19, ils se sont réapproprié leur territoire et ils ne veulent plus revoir les touristes», constate Selma Zaiane-Ghalia, professeure à l’École de kinésiologie et de loisir de l’Université de Moncton.
«Les gens manifestent leur mécontentement, car leurs espaces de vie deviennent des espaces touristiques, les commerces de proximité disparaissent et sont remplacés par des boutiques de souvenirs, les prix des loyers explosent», poursuit Luc Renaud.
Selon le spécialiste, «la situation n’est pas comparable au Canada, mais il faut être prudent». Depuis la fin de la pandémie de COVID-19, le trafic aérien a atteint de nouveau des pics de fréquentation.
Se faire oublier
Les redevances ne dissuadent pas pour autant les visiteurs. «Certaines destinations sont devenues des listes de choses à faire. Si vous avez toujours voulu aller à Venise, aucune somme d’argent ne vous en empêchera», confirme Rachel Dodds.
La chercheuse prend l’exemple du mont Kilimandjaro, en Tanzanie. Depuis une dizaine d’années, les touristes doivent débourser 600 dollars US pour grimper le sommet, «mais tout le monde paie parce que tout le monde veut escalader cette montagne mythique».
Pour lutter contre le surtourisme, d’autres sites, à l’image du Machu Picchu au Pérou, ont mis en place des quotas journaliers ou annuels de visiteurs. Luc Renaud estime que ces quotas ne sont «pas nécessairement applicables», car «le nombre d’arrivées est difficile à contrôler» dans certains lieux touristiques.
Un avis que ne partage pas Elizabeth Halpenny : «Ça peut se révéler efficace si c’est bien administré, avec des procédures de réservation longtemps à l’avance pour accéder aux sites.»
Des collectivités promeuvent des circuits alternatifs, en dehors des sentiers battus. Des sites ont également changé leur façon de communiquer. Certains ont opté pour le silence, quand d’autres vont jusqu’à faire du déréférencement sur Internet ou du démarketing, en véhiculant des images de plages bondées ou de stationnements sauvages.
Les Îles-de-la-Madeleine ont ainsi arrêté toute campagne publicitaire dans les médias nationaux et n’envoient plus de représentant dans les salons de tourisme.
En Alberta, l’association touristique de Banff – Lac Louise et le parc national de Banff, qui a accueilli plus 4,3 millions de visiteurs en 2023, ne diffusent plus aucune image en été.
L’option des tarifs préférentiels
La pratique de la tarification différenciée en fonction de l’origine, peu répandue au Canada, existe dans de nombreux pays.
Au Taj Mahal, en Inde, au Machu Picchu, au Pérou, dans des parcs nationaux au Kenya, les tarifs d’entrée pour la population locale peuvent être 10 fois moins chers que pour les voyageurs étrangers.
Au Royaume-Uni, les Londoniens paient seulement 1 livre sterling pour visiter la Tour de Londres, contre plus de 13 livres pour les autres.
«Il faut arrêter de “faire” des pays, il faut les vivre»
«Les destinations canadiennes essayent de répartir les visites tout au long de l’année, d’inciter les vacanciers à venir en automne ou au printemps», explique la présidente-directrice générale de l’Association de l’industrie touristique du Canada, Beth Porter.
Elizabeth Halpenny note cependant que beaucoup de facteurs échappent à l’industrie, «à commencer par la communication des influenceurs sur les réseaux sociaux qui encourage la prise d’assaut de certains sites».
Pour mieux réguler les flux touristiques et éviter les pics d’engorgement, les chercheurs proposent une autre manière de voyager, plus écologique et responsable. Autrement dit, partir à l’autre bout du monde moins souvent, mais plus longtemps et, le reste du temps, redécouvrir les richesses de sa région.
«On aura du mal à diminuer le nombre de touristes, on ne peut pas empêcher les gens de voyager, c’est humain d’avoir envie de découvrir, considère Luc Renaud. Mais on peut réduire l’empreinte écologique et sociale de ses voyages.»
«Il faut arrêter de “faire” des pays, il faut les vivre, prendre le temps de faire des rencontres, d’aller dans les musées, on n’a pas besoin de tout voir», renchérit Selma Zaiane-Ghalia à l’Université de Moncton, qui dénonce une course effrénée aux monuments, aux photos et aux vidéos.
Éveiller les consciences
Néanmoins, tout le monde ne peut pas se permettre d’adapter son calendrier et son choix de destination.
«Voyager un mois hors saison c’est l’idéal, mais les contraintes de la société font que les familles sont limitées par les vacances scolaires et de nombreuses personnes sont limitées aux mois d’été», reconnait Rachel Dodds.
Face aux excès du tourisme de masse, Selma Zaiane-Ghalia appelle à l’éveil des consciences dès le plus jeune âge. «Les éducateurs doivent sensibiliser les prochaines générations au respect de la nature et à l’importance de s’imprégner d’autres cultures.»
Dans une société individualiste où l’essor des compagnies aériennes à bas tarif a cassé les frontières, rendant accessibles les pays plus reculés, le pari est loin d’être gagné.
Le Canada est encore relativement à l’abri du surtourisme, qui affecte plusieurs régions en Europe et en Asie. Cependant, certaines destinations sont extrêmement fréquentées durant l’été.
Photo : Shlomo Shalev – Unsplash