FRANCOPRESSE – Sa devise est latine, sa langue d’usage est l’anglais. Pourtant, en principe, le français doit occuper la même place que l’anglais aux Jeux olympiques. Mais depuis 30 ans, le rêve de Pierre de Coubertin tourne au cauchemar pour la langue de Molière. Paris 2024 la sauvera-t-elle?
Marc Poirier – Francopresse
À ses débuts, et pendant longtemps, la langue française trônait seule sur la première marche du podium olympique. Le fondateur des Jeux olympiques modernes, le Français Pierre de Coubertin, l’avait inscrite clairement dans sa «constitution» originelle.
En 1896 avaient lieu les premières olympiades de notre époque. La ville d’Athènes avait été choisie pour faire le lien avec les Jeux olympiques de l’Antiquité en Grèce (de 776 av. J.-C. jusque vers 400 apr. J.-C.).
Deux ans plus tard, Coubertin rédigeait ce qui s’appelle maintenant la Charte olympique, qui allait être adoptée officiellement en 1908 et qui régit le Comité international olympique (CIO), et donc les Jeux comme tels.
Dès les premières versions de la Charte, l’article 12 indique que la «langue française est la langue officielle du Comité». Le même article précise : «En cas de divergence entre les textes, le texte français fait loi.»
Pierre de Coubertin, un parcours controversé
Un mot sur Pierre de Coubertin, célébré pour avoir faire revivre les Jeux olympiques, un rassemblement sans pareil dans le monde.
Il a fait de l’expression latine Citius, Altius, Fortius (plus vite, plus haut, plus fort) – qu’il a emprunté à un père dominicain – la devise des Jeux. En 2021, le CIO y a ajouté Communiter (ensemble).
Malgré tout ce qu’il a fait pour l’olympisme, Coubertin a cependant un côté plus sombre. Si le mouvement olympique le met peu de l’avant aujourd’hui, c’est qu’il a autrefois été accusé de misogynie, de racisme et même d’avoir entretenu certains liens avec le régime nazi allemand.
L’anglais rattrape le français
Depuis la Seconde Guerre mondiale, l’anglais s’est imposé sur la scène internationale; elle est la langue des affaires et, de plus en plus, la langue du sport.
En 1972, alors que plusieurs disciplines provenant des pays anglo-saxons s’ajoutent au programme olympique, l’anglais devient la deuxième langue officielle et prend une place plus grande avec le temps, de pair avec son usage grandissant sur la planète.
Bien que le français ne soit plus seul sur le podium des Jeux, l’article 23 de la Charte – qui a remplacé l’article 12 – souligne qu’en cas de divergence entre les versions de textes du CIO, la version française prévaut.
En principe, les documents, la signalétique, l’affichage doivent être dans les deux langues officielles. Aussi, les annonces pendant les cérémonies officielles et lors des compétitions doivent se faire en français et en anglais avant de se faire dans la langue du pays hôte.
Mais l’application de ces règles a varié d’une olympiade à l’autre.
Atlanta, point de rupture
À Atlanta en 1996, alors qu’on célébrait le centenaire de la réalisation du rêve de Coubertin, on constate une véritable dérive du français.
C’est aussi l’année où la France avait commencé à dépêcher une personnalité aux Jeux afin d’y faire état de la présence du français.
Après avoir répété l’exercice pendant quelques éditions, l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) a pris le relai afin de donner une dimension internationale à la démarche française.
C’est alors qu’est née la fonction de «grand témoin», qui sert à observer le respect – ou le non-respect – de l’article 23 de la Charte olympique.
Le premier grand témoin a été Hervé Bourges, journaliste de profession et directeur de grands médias. Dans son rapportsur les Jeux d’Athènes de 2004, on retient que «la place du français a été constamment reconnue» dans les discours officiels et en bonne partie dans l’organisation des épreuves.
Toutefois, le rapport souligne que cette langue, bien qu’officielle, est considérée par l’organisation des Jeux «comme une contrainte traditionnelle, non comme une nécessité pratique».
Le grand témoin suivant – à l’occasion des Jeux de Turin en 2006 – a été la Québécoise Lise Bissonnette, autrefois directrice du journal Le Devoir, qui était alors directrice de la Bibliothèque et Archives nationales du Québec.
Selon elle, la lente érosion du français dans le mouvement olympique est attribuable au CIO, car celui-ci «ne demande pas aux pays hôte des Jeux de s’engager fermement sur le français».
Parfois, le mauvais exemple trouve racine en haut lieu. Ainsi, lors des Jeux de Beijing en 2008 (où, en général, le français a cependant fait bonne figure), le président du CIO du moment, Jacques Rogge, pourtant belge, donnera raison à Lise Bissonnette en ne prononçant qu’une seule phrase en français dans son discours.
En 2014, 20 ans après les premières démarches de la France et 10 ans après celles de l’OIF, cette dernière conclut dans un rapport que les efforts ont permis une certaine «stabilisation» de la place du français, mais que celle de l’anglais est bien plus grande.
Les Jeux de Rio en 2016 ne font rien pour redonner espoir à la langue de Coubertin.
Heureusement, certaines olympiades font bonne figure. En 2018, la Corée du Sud, nouvellement admise comme membre observateur de l’OIF, redonne du galon au français.
Citius, Altius, mais plus tellement francius
Tout rebascule lors des derniers Jeux d’été, en 2021, à Tokyo. Pendant les préparatifs, le français a été presque invisible. Les conférences de presse se déroulaient en anglais et en japonais, le français était absent des affiches.
Déjà, en 2020, le vice-président de l’Association francophone des académies olympiques (AFAO), Yvan Coste-Manière, livrait un sombre diagnostic. À son avis, les «grands témoins» servent «plus souvent de l’alibi que de la volonté de changer les mentalités».
Il disait même craindre que la disparition de la place du français aux Jeux soit «inéluctable», à moins d’un grand coup de barre.
Cette dernière chance pourrait bien être celle des Jeux d’été de cette année qui, pour la troisième fois, auront lieu à Paris, dans la patrie du «créateur».
Personne ne pense que le français peut reprendre une place prépondérante dans l’univers sportif et planétaire dominé par l’anglais. Mais il y a peut-être une chance de sauver les meubles. Et peut-être continuer de jouer dans la langue de chez nous.