Nathalie Provost, «le combat d’une vie» pour le contrôle des armes à feu
ENTRETIEN – Il y a 35 ans, Nathalie Provost a survécu à l’une des plus grandes tragédies reliées aux armes à feu qu’aient connues le Québec et le Canada. La tuerie de l’École Polytechnique de Montréal a sonné l’alarme sur la question du contrôle de ces armes au pays. La lutte qui s’en est suivie reste encore vive aujourd’hui, mais se heurte aux réalités politiques.
Marianne Dépelteau – Francopresse
Le 6 décembre 1989, l’École polytechnique de Montréal a été le théâtre d’un féminicide, un acte haineux dirigé contre des femmes qui rêvaient de devenir ingénieures. Un rêve qui, pour certaines, fut coupé court par les balles d’une Ruger mini-14.
Depuis, le groupe de citoyens bénévoles PolySeSouvient milite pour un plus grand contrôle des armes à feu. Sa porte-parole, Nathalie Provost, est une survivante du drame qui a fait 14 morts, 13 blessés et des milliers d’endeuillés.
Si la Ruger mini-14 est interdite depuis mai 2020, le travail de PolySeSouvient n’est pas achevé.
Francopresse : Où en est rendue la lutte pour le contrôle des armes à feu au Canada?
Nathalie Provost : En 1995, le Canada s’était doté de la Loi sur les armes à feu, qui n’était pas parfaite, mais qui incluait l’enregistrement total de tous les types d’armes. La destruction [du registre, sous Stephen Harper, NDRL] a été un recul majeur en matière de sécurité publique. On n’avait plus l’information de qui possédait quoi.
En arrêtant de les enregistrer, ça a donné l’impression qu’il y avait des armes moins dangereuses. Or, dans les armes non restreintes – comme dans certaines armes restreintes –, il y a des armes de style d’assaut. La Ruger mini-14 qui a été utilisée le 6 décembre était une arme non restreinte, mais de style d’assaut. Ça n’a pas pris une minute pour tirer 30 balles dans ma classe, et six personnes sont mortes.
Le gouvernement Trudeau a adopté la stratégie de l’interdiction, et c’est une course à obstacles incroyable depuis son élection en 2015. On va de promesses à réalisations mineures, à fausses bonnes idées, à se séparer de ses responsabilités pour les donner parfois aux municipalités, parfois aux provinces.
Personne ne se bat pour la sécurité publique. On la tient pour acquise. Donc on ne manifeste pas, on n’appelle pas nos députés.
Les propriétaires d’armes, et particulièrement ceux impliqués dans le gun lobby, voudraient que les armes soient reconnues comme un droit au Canada. Ils parlent fort, manifestent devant les bureaux de députés.
Plusieurs députés pensent alors que la pensée populaire est pour les armes. Donc il faut que ceux qui, comme nous, se battent pour la sécurité publique, manifestent.
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La Loi modifiant certaines lois et d’autres textes en conséquence (armes à feu) a été adoptée il y a un an. Comment avance sa mise en œuvre?
La mise en œuvre est difficile. […] On se retrouve un an après la sanction royale et le programme de rachat n’est pas commencé.
En plus, il ne vise pas une liste complète d’armes de style d’assaut. Depuis 2020, de nouveaux modèles sont entrés sur le marché. Or, ces modèles ne sont pas inclus dans le programme de rachat. Il faut absolument qu’ils soient interdits rapidement.
Il y a des mesures importantes pour la sécurité des femmes qui doivent être mises en œuvre et qui ne le sont toujours pas. C’est urgent.
On est inquiets, parce que s’il y avait des élections tôt cet hiver… Pierre Poilievre a dit – pour faire plaisir aux extrémistes des armes – qu’il déferait le projet de loi C-21. S’il le défait… c’est un combat d’une vie. C’est 35 ans.
Contexte juridique
La Loi modifiant certaines lois et d’autres textes en conséquence (armes à feu) (anciennement projet de loi C-21) a reçu la sanction royale le 15 décembre 2023.
Cette loi vise, entre autres, à empêcher les armes à feu de tomber entre les mains d’individus responsables de violence conjugale. Mais certains de ses articles n’ont toujours pas été mis en œuvre.
Par exemple, la loi modifiée permettra d’éviter qu’un individu visé par une ordonnance de protection ou qui a été déclaré coupable de certaines infractions liées à la violence familiale ne soit pas admissible à un permis d’armes à feu.
En mai 2020, le gouvernement du Canada a annoncé l’interdiction de plusieurs modèles et de variantes d’armes à feu de style d’assaut. Il a élargi cette liste le 5 décembre 2024.
La tragédie de Polytechnique n’était pas juste une histoire d’armes à feu, c’était aussi une question de féminicide. Quelle analyse faites-vous de la place et du respect des femmes aujourd’hui?
C’est toujours fragile, la position des femmes.
Parlez-en aux femmes afghanes, ukrainiennes, libanaises, palestiniennes, israéliennes – je ne veux pas prendre un côté ou l’autre –, mais souvent dans des situations tendues et de guerre, les premiers qui perdent, ce sont les femmes et les enfants.
Au Canada et au Québec, on est encore des femmes privilégiées, on vit encore dans une société où nos droits sont plutôt respectés. Mais quand on regarde les hausses de féminicides, et, par exemple, la montée du masculinisme, ben on peut être inquiet.
Il y a des discours là-dedans qui n’ont aucun sens. Quand j’entends, en 2024, «la place des femmes est à la maison», je suis inquiète pour mes filles, mais pour mes petites-filles aussi.
Le plus grand danger, c’est de penser que parce que ça va bien pour soi, c’est acquis. Je n’y crois plus maintenant. Quand je suis rentrée à Polytechnique, j’avais 19 ans. Dans ma tête, il n’y avait rien pour m’arrêter. Toutes les portes s’ouvraient devant moi. […] Je ne réalisais pas tout ce qui se passait autour de moi.
Quand tu penses que ça va bien, tu ne veux pas voir… donc tu ne vois pas. C’est ça, être naïf, être un peu innocent. Les évènements de Poly, ça a brisé ça dans ma vie, à tout jamais.
Les propos ont été réorganisés pour des raisons de longueur et de clarté.
Pour certains survivants de la tuerie du 6 décembre 1989, s’impliquer dans la lutte pour le contrôle des armes à feu était «un moyen de reprendre contrôle sur notre vie», raconte Nathalie Provost. Photo : Marianne Dépelteau – Francopresse